Emile Picard
Speech at the dinner given by the City of Kristiania [Oslo]
September 6, 1902
Les délégués des nations étrangères présents aux fêtes du centenaire d’Abel remercient la municipalité de Kristiania du cordial accueil qu’ils ont trouvé dans cette belle cité. Ils n’oublieront pas la magnificence du paysage, qui se déroule autour de la capitale de la Norvège, ils n’oublieront pas surtout la grâce et l’amabilité de ses habitants.
Les ignorants comme les adeptes des sciences mathématiques emporteront un souvenir ému des cérémonies, ou ce pays vient de célébrer un de ses plus glorieux enfants. C’est, pour l’esprit comme pour le coeur, un spectacle fortifiant que cette communion d’hommes d’origines si diverses dans un même idéal de science pure et désinteressée. Qui peut mieux en être le type qu’un géomètre de génie comme votre Abel? Quand ils atteignent ces hauteurs, les mathématiciens sont de grands po‘tes, je veux dire de grands créateurs dans le monde des formes et des nombres, oť ils aiment à se mouvoir. C’est ce que nous ont si bien exprimé M. Bjørnson et M. Sinding dans l’admirable cantate, qui nous a hier très vivement émus, et dont il nous semble entendre encore retentir les échos.
Il ne faudrait pas croire cependant, comme on le fait quelquefois, que les mathématiciens sont nécessairement des isolés ensevelis dans leurs symboles et perdus dans leurs rêves. Tels sont les rapports entre les lois de l’esprit humain et celles du monde extérieur que ces symboles nous sont indispensables pour formuler et développer nos connaissances sur la nature, qui nous entoure. Les méditations profondes des géomètres concourent donc au moins indirectement au développemnet de la science générale, de la science, dont les progrès incessants ont été la grande caractéristique du siècle, qui vient de finir, et tendent aujourd’hui à transformer les conditions mêmes d’existence de l’humanité.
Les mathématiciens ne sont pas seuls à cultiver le symbolisme. Beaucoup de grands artistes, en cela géomètres, aiment aussi les symboles. Il n’est pas besoin de le rappeler dans la patrie d’Ibsen. C’est ainsi que les penseurs se rejoignent venant des points les plus divers. Il y a bien des manières de travailler à la solution de ces questions sociales, dont l’étude fait aujourd’hui l’honneur et le tourment des nations civilisées. Po‘tes et dramaturges, mathématiciens, physiciens et naturalistes y concourent sous des formes diverses, et d’une faŤon plus ou moins consciente. Dans toutes ces directions, la Norvège a des noms illustres à citer. Qui ne connait au moins quelques unes des productions de vos po‘tes et de vos auteurs dramatiques? M. Ibsen et M. Bjørnson ne vous appartiendront bentôt plus. Qui n’a ondendu sussi quelques morceaux de vos musiciens et admiré les fra”ches ou vigoureuses peintures de vos peintres des regions polaires?
Les hommes d’action et d’énergie sous toutes ses formes ne vous manquent pas non plus, veritables po‘tes encore dans leurs projets audacieux, et nous aimons à saluer dans M. Nansen un artiste par la grandeur de ses conceptions, en même temps qu’un savant armé d’une rigoureuse logique.
L’autorité des ma”tres éminents, qui enseignent à l’Université de Kristiania, est, pour l’avenir, un sér garant, des succès de la science norvégienne. De quelques côtes que nous tournions nos regards, nous pouvons saluer vos progrès. Je ne crois pas me tromper, en disant que plus d’un grand pays en Europe pourrait envier votre développement pacifique, dont la continuité regulière est un gage de durée. Vos robustes populations, élevées parfois à la rude école de la lutte contre les éléments, ont appris, qu’il n’y a de durable que ce qui se fixe lentement. Puissiez vous jouir longtemps dans le calme et la concorde, d’un bonheur, que vous avez si bien merité!
La cité de Kristiania est la digne capitale de votre belle patrie. Sa position merveilleuse au fond de ce fjord magnifique contribue à son développement matériel, en même temps que la création d’institutions de bienfaisance et d’enseignement témoignent de son développement moral et intellectuel. Il ne manque aux mathématiciens que de voir sur une de vos places publiques la statue d’Abel, mais, d’après ce que nous avons appris ce matin, nous sommes assurés de la trouver à notre prochain voyage en Norvège.
Messieurs, je lève mon verre en l’honneur de votre patrie et de sa capitale.
Hurrah pour la Norvège;
Hurrah pour la ville de Kristiania!
[Copied from Aftenposten September 9, 1902.]